9 oct. 2010

Week-end à Horni Cermna

                                     

QUARANTE HUIT HEURES A HORNI CERMNA, DANS LA BOHEME PROFONDE,
CHEZ JAKUB ET TEREZA KELLER, 
       AVEC LE PASTEUR BERNARD MARTIN, PHILIPPE VOGT, ERIC RABARISON
 ET ISABELLE HERDNER

                                                              *   *   * 

Après un premier passage de vingt-quatre heures à Prague, bien employé par une magnifique représentation de "Carmen" à l'Opéra et une visite de la "nouvelle ville" pour nous mettre en appétit pour découvrir le centre ville au retour, notre petit groupe de quinze paroissiens d'Auteuil se dispersent, vendredi après-midi, pour rejoindre chacun sa paroisse d'accueil, "délicatement déposés", comme a dit le Pasteur Martin, tout le long de la voie ferrée vers l'Est du pays ; ce qui nous conduit, le Pasteur Bernard Martin, Philippe Vogt, Eric Rabarison et moi-même, dans les Monts des Sudètes, tout près de la frontière polonaise. A la gare de Ceska Trebova, le Pasteur Jakub Keller nous attend pour nous emmener dans son petit bourg de Horni Cermna où nous allons passer quarante huit heures au sein de sa chaleureuse famille. Son épouse Téréza nous y accueille avec leurs quatre enfants, l'aîné, charmant violoncelliste de 14 ans aux cheveux longs, puis Nicolaus, Dorothée et la petite dernière, l'affectueuse Esther. Le presbytère, tout contre l'église, est une grande et belle maison de plusieurs étages abritant à la fois salles de réunions paroissiales et appartement familial. Yakub est pasteur de cette paroisse depuis douze ans ; il avait été nommé pour dix ans et a été renouvelé il y a deux ans. C'est le conseil presbytéral qui vote sa prolongation ou son remplacement. Il est en charge des deux paroisses d' Horni Cermna et de Lehtorad et prêche souvent deux fois dans la même journée de dimanche.

Ces deux jours passés dans ce petit bourg seront partagés en enrichissantes découvertes dans plusieurs domaines : accueil par les jeunes, rencontres avec l'ensemble de la paroisse et avec une paroisse voisine, et enfin grande journée d'Histoire et de tourisme dans les Monts des Sudètes.

D'abord, donc, accueil à notre arrivée par la famille Keller et par les jeunes qui sont venus nombreux au presbytère, avec le réconfort bien venu, après le voyage en train, d'assiettes bien garnies de charcuteries, fromages et petits gâteaux qui nous seront aussi offertes généreusement tout au long du parcours. Après un tour de table pour faire connaissance, invités français et hôtes tchèques, les jeunes, essentiellement des étudiants, sont fiers de nous présenter leurs activités sous forme, entre autres, de projections d'un camp "d'initiation" qu'ils ont fait récemment en Slovaquie, avec solide porridge au petit déjeuner et mésaventures diverses tout au long des journées. Philippe Vogt leur présente parallèlement la marche que les jeunes protestants organisent vers Meaux tous les ans, marche à laquelle ne participent pas que des protestants d'ailleurs, car des catholiques et des athées se joignent quelque fois à eux ; il  émet le voeu que certains parmi ces jeunes d'Horni Cermna puissent peut-être un jour venir en France pour y participer.
Philippe et Eric présentent ensuite des vidéos sur l'ERF, et sur l'histoire et l'organisation de notre paroisse, avec traduction immédiate. Deux charmantes étudiantes, qui se débrouillent très bien en français, nous aideront très efficacement pendant ces deux jours pour nous servir à plusieurs reprises de guides et d'interprètes.. Eric essaiera de faire venir en France la jeune Mireille qui aimerait bien parfaire ses études en français et en économie.

Dix-huit jeunes de Horni Cermna se joignent chaque année à la grande rencontre des Frères Tchèques à Kolin à laquelle participent 6000 jeunes tchèques.

Et ce sera à l'invitation de la paroisse voisine de Lehtorad  que nous exposerons, le samedi soir, devant une trentaine de personnes dont quelques catholiques, chacun à notre tour, Philippe l'ERF et la paroisse d'Auteuil, Eric la diaconie et moi-même Etudes et Recherche en tant que membre du Comité Directeur, chaque intervention faisant l'objet d'une traduction simultanée par le Pasteur Martin. Ces exposés, écoutés avec intérêt par nos auditeurs, seront suivis de quelques questions de leur part sur le fonctionnement et l'organisation de notre paroisse, entre autres :

.  Auteuil est-elle la seule paroisse protestante de Paris ? Non, elle est une paroisse de quartier.

.  comment nos activités sont-elles financées : par les collectes et dons, et aussi par la vente paroissiale annuelle, moment de rencontre mais aussi d'apport financier appréciable et indispensable, pour l'entraide aussi.

Ce moment d'accueil chaleureux et fraternel se renouvellera dans une salle du presbytère, le lendemain, à l'issue du culte dominical ; nouveaux  exposés de notre part qui donnent lieu à de nouveaux échanges et à des contacts amicaux avec cette paroisse heureuse de notre présence parmi eux. L'office lui-même avait été fait en langue tchèque par le Pasteur Martin devant une assistance nombreuse, avec, comme participation de notre part, les lectures bibliques faites par Philippe et Eric et les prières d'intercession par moi-même, avec traductions simultanées, bien entendu. J'ai eu grand plaisir à essayer de chanter en tchèque les paroles des cantiques dont les mélodies nous étaient d'ailleurs familières.

C'est à l'Histoire religieuse et nationale de cette région que sera consacrée la journée entière du samedi, au cours d'une grande promenade en voiture dans cette magnifique région, pilotés par les Pasteurs Martin et Keller. D'abord un pèlerinage à un Haut Lieu hussite, à Kunwald, dans une belle forêt d'immenses sapins et bouleaux aux fûts impressionnants, où se sont cachés, après la mort de Jan Hus sur le bûcher en 1415, ceux qui allaient fonder en 1457 l'église hussite des "Frères", petit fleuron de pacifistes qui ont maintenu si longtemps et si courageusement le flambeau. Persécutés pendant deux siècles, ils se réunissaient clandestinement, comme les Huguenots français au Désert, pour prier et célébrer leur culte dans ces vallons profonds au fond desquels coulent de nombreux petits ruisseaux. La ferme est encore là où quinze réfugiés se sont cachés au début du 15ème siècle. A l'ombre de ces beaux arbres, une stèle rappelle le souvenir de ces croyants courageux avec cette inscription : "Après 1620, dans cette vallée cachée, dans cette forêt épaisse, les membres de l'Unité des Tchèques se réunissaient secrètement". Et sur le flanc d'une petite colline voisine, un monument à Jan Amos Komensky, connu en Europe sous la forme latine de son nom de Comenius, domine le paysage. Comenius, théologien, philosophe et pédagogue, est après Jan Hus la personnalité la plus marquante et la plus noble de la culture tchèque, élevant les traits essentiels et permanents de celle-ci à la qualité de valeurs universelles. Contraint à l'exil par les persécutions des Habsburg après la défaite de la Montagne Blanche en 1621, il meurt à Amsterdam en 1670. Emouvante marche dans le souvenir d'eux tous.

Puis nous partons vers la région qui borde la frontière polonaise, par des routes de crêtes dominant le très beau paysage des Monts des Sudètes, pour nous plonger dans l'Histoire récente et tragique de cette région. Et là, une surprise nous attendait, ménagée par nos hôtes : majestueusement perchée sur une colline, la grande église baroque de Neratov, "Maria Himmelfahrt in Bärnwald", façade restaurée et joliment peinte en jaune vif mais nef en pierres redevenues apparentes évoquant une destruction. En 1945, en effet, lors de la libération du pays, un soldat Russe, ivre, a jeté une grenade sur la toiture et l'église a en partie brûlé. Cette visite est l'occasion pour nous de constater le désir des Tchèques des Sudètes de faire revivre leur région. Le prêtre de cette église catholique, Joseph Cisar, vient nous raconter comment il a réussi, avec des aides financières diverses, à restaurer la façade puis l'intérieur de la nef de son église dont la toiture, en partie en verre pour l'éclairer, est en cours d'installation. Le résultat est magnifique, large nef toute blanche et très claire, et aussi sobriété de la décoration. Mais il nous dit aussi comment il a redonné vie au village qu'habitaient 3500 Allemands avant leur expulsion en 1945, et où ne restaient alors que 17 tchèques ; comment il a réussi à le repeupler en le transformant en centre d'accueil pour handicapés physiques et mentaux dont s'occupe une population tchèque nouvellement installée. Bel exemple de résurrection dans cette région meurtrie. Sa population allemande avait été implantée là au 17ème siècle, comme tout autour de la Bohême d'alors, pour repeupler le pays décimé par la Guerre de 30 ans ; elle représentait alors 30% de la population totale du pays. Mais à partir de 1933, et par dépit de minorité frustrée, ces Allemands s'étaient trop facilement nazifiés et transformés ensuite en occupants honnis dont se sont vengés les Tchèques en 1945, en les expulsant d'une façon brutale, voire inhumaine. Ces campagnes et collines, à proximité de la frontière polonaise, sont, encore maintenant, presque désertes car l'habitat allemand, déjà éparpillé, y avait été alors détruit et peu de fermes y ont été à nouveau implantées.

Puis une vingtaine de kilomètres parcourus dans la Pologne toute proche nous ramènent dans l'actualité immédiate, une autre tragédie, dont témoignent les nombreux drapeaux polonais en berne avec cravate noire pour le deuil de l'accident d'avion de Smolensk ; mais aussi les nombreuses ruines de fermes et maisons dans la campagne témoignent là aussi d'une histoire douloureuse qui n'a pas encore été dépassée.

Très belle journée, par un temps magnifique mais un peu glacé, beaucoup de plaques de neige encore à l'ombre et encore aucune feuille aux arbres. Et plaisir de nos guides, Bernard et Jakub, de nous faire découvrir et partager l'histoire religieuse et nationale de leur région, dans l'amour qu'ils lui portent et dans la ferveur du souvenir.

Et pour nous nous n'oublierons pas ces deux jours si enrichissants, l'accueil chaleureux de cette famille tchèque et de ces paroisses, tous ces contacts, ces fructueux échanges et  ces bons repas. Et aussi ce ciel si bleu sur ces collines un peu au bout du monde et que nous quittons à regret.


                                                                                       Isabelle Herdner


25 mai 2010 


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