9 oct. 2010

Auteuil à la rencontre de l’Eglise Protestante des Frères Tchèques


Rappelez-vous, fin novembre 2007 une délégation de l’Eglise Protestante des Frères Tchèques (EPFT), sous la houlette du pasteur Helvético-Tchèque Bernard Martin, qui leur servait de guide et d’interprète, était venue à Auteuil, lors d’un déjeuner-débat et d’un culte le dimanche suivant avec comme prédicateur Helena Junova, pasteur d’une paroisse des environs de Kolin, à l’Est de Prague. Les échanges étaient nombreux et sympathiques, de sorte que lorsqu’au début de cette année le pasteur Bernard Martin a repris contact avec notre paroisse pour nous suggérer une réciprocité, notre réponse a tout de suite été positive. Quinze paroissiens d’Auteuil, représentatifs de différentes entités de la paroisse (Conseil Presbytéral, Comité d’Entraide, Etudes & Recherches, Groupe des Jeunes Adultes) ont donc effectué un séjour en République Tchèque du 15 au 20 avril derniers.

A un moment où, dans la foulée du Synode National de Sochaux de 2007, l’Eglise Réformée de France envisage son rapprochement avec l’Eglise Evangélique Luthérienne de France et fait de cette question le thème du prochain Synode Régional, ce voyage d’études tombe à point nommé. En effet, l’Eglise Protestante des Frères Tchèques (EPFT) est issue de l’unification de quatre églises.

Cet article collectif ne sera pas une relation de voyage minutieuse mais juste un raccourci historique et une présentation très ramassée de la situation de cette Eglise sœur ainsi qu’une synthèse très générale des ressentis et des impressions des participants (1).

Les lecteurs  trouveront également sur ce blog les photos et les carnets de voyage des cinq groupes constitués par les participants.

Précurseurs de Luther et de Calvin

Les premières tentatives de réforme dans les pays de la couronne Tchèque se sont manifestées dès les lendemains de l’établissement de l’archevêché de Prague à partir de 1344. Elles se sont cristallisées autour de la Chapelle de Bethléem construite en 1391 et regroupant les prêtres de langue tchèque de Prague. Jan Hus, administrateur de la Chapelle de Bethléem à partir de 1402, inspiré par l’anglais John Wyclif, fut la figure de proue de ce mouvement réformateur. Son œuvre majeure, « De Ecclesia », était un brulot contre la papauté
et l’avait conduit tout droit au bûcher en 1415, suite à une condamnation comme hérétique par le concile de Constance.

Mais son programme et sa théologie lui survécurent et constituèrent la base de la première Réforme en Europe. Connus sous le nom des « Quatre articles pragois », ils préconisent la libre proclamation de la Parole de Dieu, la communion de tous sous les deux espèces (le pain et le calice pour tous selon la manière ancienne supprimée par le 4è concile de Latran en 1215), la fin de la puissance temporelle de l’Eglise et la justice exercée sur tous (abandon de l’immunité du clergé).

Le martyr de Jan Hus n’avait fait que propager les idées de la Réforme. Tout le pays était devenu hussite. Les croisades de Rome furent défaites par les armées hussites qui poussèrent leur contre-attaque bien au-delà des terres de la Bohême-Moravie. L’impulsion initiale donnée par Jan Hus fut prolongée lors de la deuxième moitié du 15è siècle et atteint son apogée à travers l’Unité des Frères Tchèques, dont Comenius (1592-1670) fut la personnalité la plus marquante.

Une succession interminable de persécutions

Toutefois, les contradictions internes au mouvement de la Réforme en pays tchèques suscitèrent un affaiblissement et facilitèrent la contre-réforme. Celle-ci s’est amplifiée avec l’avènement des Habsbourg en 1526 sur le trône tchèque. L’échec de l’insurrection de 1618 et la Guerre de Trente Ans (1618-1648) ont achevé d’asphyxier la réforme tchèque. « L’Epoque des ténèbres », celle des persécutions, des bannissements, des conversions forcées et de l’occupation par des étrangers de la Nation Tchèque à 90% protestante, dura plus de 160 ans, à l’issue desquels il resta moins de 80 000 Protestants clandestins en Bohême-Moravie.

En 1781, l’empereur Joseph II, influencé par les Lumières, promulgua à leur intention l’Edit de Tolérance. Celui-ci ne permettait, cependant, « que » l’exercice des confessions protestantes officiellement reconnues dans l’empire: celle d’Augsburg et celle de Calvin et interdisait la référence aux anciens Hussites et aux Frères. Tout au long du 19è siècle fut mené un combat pour la renaissance nationale tchèque qui portait aussi en filigrane le « réveil » du protestantisme tchèque. La pleine liberté religieuse ne fut acquise qu’à l’issue de la Première
Guerre Mondiale en 1918 lors de la fondation de la République Tchécoslovaque dont le premier chef d’Etat Tomas Masaryk est issu de l’intelligentsia protestante.

Toutefois, l’indépendance n’a duré que 20 ans. L’invasion hitlérienne puis le communisme ont imposé aux tchèques et aux protestants une nouvelle série d’épreuves. A partir de 1948, le contrôle de « la classe ouvrière sous la direction du parti communiste » était omniprésent dans tous les aspects de la vie de la société. Autre époque mais même combat, il fallait à nouveau préserver l’intégrité de la Nation tchèque et l’identité de l’Eglise. Jan Palach, le jeune étudiant qui s’immola en janvier 1969 suite à la répression du Printemps de Prague était un membre de l’Eglise des Frères Tchèques. Comme nombre de chrétiens, les Protestants s’engagèrent de diverses manières dans la révolution de velours qui mit un terme en 1990 au pouvoir pro-soviétique et qui restaura les libertés religieuses.

Précurseur dans l’unification des Eglises

L’indépendance nationale regagnée en 1918 à la chute des Habsbourg a été le toile de fond et l’occasion pour unifier les églises protestantes. L’unification de l’Eglise réformée (126 000 membres à l’époque) et de l’Eglise Luthérienne (34 000 membres) a donc été réalisée à l’assemblée générale des Protestants tchèques en décembre 1918. La référence à l’ancienne tradition réformée tchèque a été préservée dans la nouvelle dénomination retenue : Eglise Protestante des Frères Tchèques (EPFT). Le calice de la tradition hussite posé sur la Bible (symbole de l’Unité des Frères) devint l’emblème de l’Eglise unie. Au cours des dix premières années de l’EPFT et de l’indépendance nationale, 100 000 tchèques quittèrent le catholicisme associé aux Habsbourg et portèrent le nombre des Frères Protestants à 250 000. Chiffre qui s’élevait même jusqu’à 325 000 en 1938 à la veille de l’occupation hitlérienne.

L’EPFT adopta le système presbytéro-synodal. Aujourd’hui, elle compte 193 000 membres, soit la plus importante église protestante en République Tchèque. Il existe 13 régions d’une vingtaine de paroisses chacune, soit 267 paroisses et 247 pasteurs. Depuis l’époque communiste, l’Etat paie le même salaire à tous les ecclésiastiques. La liturgie adoptée semble très dépouillée et concentrée sur la Parole, lecture de la Bible et prédication. La Sainte-Cène n’est célébrée que lors des fêtes et grandes occasions.

Le Conseil Synodal, l’organe national, est composé de trois pasteurs et de trois laïcs. Son siège est à la « Maison de Jan Hus », au centre de Prague, qui outre une librairie, une maison d’édition et une salle de théâtre comporte un centre d’hébergement où la délégation d’Auteuil a logé durant son séjour dans la capitale.

Le périple des réformés d’Auteuil

En effet, la tournée d’Auteuil en République Tchèque incluait une composante pragoise et une excursion en provinces. A Prague, une réunion avec 3 représentants du synode national a eu lieu. L’EPFT a une relation de coopération avec l’ERF depuis 2001. La discussion et les présentations tournaient autour de l’union avec les Luthériens, des rapports avec les catholiques, de l’œcuménisme qui est très actif à tous les niveaux, notamment dans les aumôneries militaires.

La visite de la ville a été également un moment fort. Surnommée « la cité aux cent clochers », Prague ne manque pas de lieux de cultes aussi sublimes les uns que les autres. Mais la délégation s’est concentrée sur les hauts lieux de la Réforme tchèque. Une étape importante était la visite guidée par le Pasteur Benes, ministre de la paroisse Salvator, le plus grand temple de l’EPFT où se tiennent assemblées générales et les assemblées œcuméniques. Les quinze paroissiens d’Auteuil se sont aussi essaimés en région. Cinq groupes (2) ont été constitués et "délicatement déposés", selon le mot du Pasteur Bernard Martin, tout le long de la voie ferrée vers l'Est et le Sud du pays. Ce qui a permis à Auteuil de couvrir le territoire tchèque des environs de Prague jusqu’aux Monts des Sudètes, tout près de la frontière polonaise, et vers le Sud à la lisière de l’Autriche.

Ce fut une très belle occasion de rencontrer les églises locales dont vous trouverez sur ce blog les détails. L’accueil des ministres et des paroissiens était plein de fraternité, de chaleur et de convivialité mais aussi de spiritualité. Car au-delà des réunions de présentation, des visites des œuvres diaconales ou des partages de repas, chaque délégation participait au culte du dimanche en officiant avec le Pasteur de la paroisse et, en particulier, en délivrant la prédication autour des textes du jour.

Pour la plupart, une expérience rarissime de prêcher (à partir des Actes 5, de l’Apocalypse 5 et de Jean 21) et en plus devant un auditoire tchèque ! Mais visiblement, la traduction alternée des pasteurs, versés un peu-voire beaucoup- dans le français, du fait de leur formation, partiellement à Strasbourg ou en Suisse, a été efficace… surtout si l’on a réussi à éviter, à force de travail nocturne la veille, de confondre « filet » (plein de poissons) et « filet/faux-filet » de bœuf !

Toutes les régions et villes visitées étaient chargées d’histoire tant du point de vue national que religieux. Eglises, monuments, « Déserts », musées. Et c’est de cette façon qu’on a touché du doigt l’histoire longue et douloureuse du peuple et des protestants tchèques et qu’on a marché sur la trace et dans le souvenir des personnalités et des héros anonymes de la Réforme tchèque.

Aucun doute, cette pérégrination en terres tchèques fut très enrichissante pour chacune et chacun des participants d’Auteuil. Au-delà de l’intérêt d’avoir un peu appris sur place de l’histoire, de l’expérience et du vécu de l’EPTF, ce fut une opportunité exceptionnelle de rencontres fraternelles et authentiques entre enfants de la Réforme.

Le plus beau pont que nous avons vu en République Tchèque n’est pas le Pont Charles à Prague mais le pont qui a été établi entre notre paroisse et l’Eglise des Frères Tchèques. Nous ne pouvons qu’être reconnaissants pour cette grâce !

(1) Christian Barbéry, Mathieu Cron, Isabelle Duvaux-Béchon, Ania Faillant, Monique Galabert, Isabelle Herdner, Françoise Ledey, Marc Muller, Eric Rabarison, Nanie & Jaona Ravaloson, Béryl & Jean-Jacques Veillet, Faustin Villedieu, Philippe Vogt

(2) Cinq destinations différentes : Jihlava, Predhradi, Dvur Kralove, Horni Cermna et Sumperk

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire